Bacouel 14 181915 est une année terrible. C’est après 1914, l’année la plus meurtrière de ce conflit.

En 1914, uniquement d’août à décembre, ce sont déjà 528 000 hommes qui sont morts ou disparus au front ou dans les hôpitaux de l’arrière.

En 1915, il y aura 492 000 autres soldats qui perdront la vie dans les combats de Champagne, d’Artois aux Dardanelles et sur les divers points du front.

Les combats en rase campagne de 1914 ont très rapidement montré que la stratégie de l’attaque à outrance se heurtait à des contraintes matérielles non prises en compte par les états-majors.

L’apparition d’artillerie lourde et de mitrailleuses ont changé la donne et après « la course à la mer », les deux armées françaises et allemandes, ayant subies des pertes énormes ont commencé à se terrer dans les tranchées face à face, pour se mettre à l’abri, sur une ligne allant de la mer du Nord à la Suisse.
Pour 1914, dans la guerre de mouvement, les français perdaient en moyenne 3520 hommes par jour, pour 1915, avec l’abri relatif des tranchées, cette moyenne baissera à 1350 hommes tués par jour.

Pour le Général en chef, Joffre, et la plupart des généraux français, cet aspect nouveau de la guerre allait à l’encontre de toutes leurs croyances. En vérité, ils n’en avaient qu’une : l’attaque, l’attaque et encore l’attaque !
Or, dans la réalité, toute troupe qui prend le risque de sortir des tranchées se retrouve exposée dans un no man’s land truffé de barbelés et d’obstacles divers en face d’autres soldats à l’affût dans des tranchées puissamment fortifiées et équipées de mitrailleuses. Si l’artillerie n’a pas ou peu entamé les défenses adverses, c’est un carnage assuré.

Dans cette nouvelle guerre, le défenseur prend le pas sur l’attaquant et les généraux allemands ont beaucoup plus vite intégré cette notion.
Il n’y aura aucune offensive allemande en 1915 sur le front français.
Durant cette année 1915 les troupes allemandes s’emploieront très rapidement à creuser et surtout fortifier leurs tranchées au contraire des troupes françaises dont les généraux penseront très longtemps que la prochaine offensive étant la bonne, il n’y avait pas de temps à perdre à équiper des tranchées qui n’étaient dans leur esprit que provisoires.

Le mot d’ordre français est donc désormais : « LA PERCEE » résumé dans la célèbre incantation de Joffre, « Je les grignote » Quand on voit le nombre de morts inutiles provoquées par cette stratégie qui en fait est celle de ceux qui n’en ont pas, on se demande quelle est l’armée qui a été grignotée !

Les refus de Joffre d’entendre ses généraux proposant d’autres alternatives feront de 1915 une année sanglante et provoqueront l’enlisement du front.

Il refuse d’envisager un autre front dans les Balkans où pourtant les armées austro-hongroises subissent de terribles revers face aux russes.
Il tergiverse pour donner des moyens militaires pour une expédition visant à s’emparer de Constantinople en forçant les détroits des Dardanelles.

Quand, beaucoup trop tard, alors que les turcs ont reçus de nombreux renforts allemands, il se décidera pour une action à minima avec les anglais, ce sera un désastre.
Les troupes françaises, anglaises, australiennes et néozélandaises seront décimées sur les plages de la presqu’ile de Gallipoli le 25 avril 1915 et seront obligées de se retirer sur Salonique en Grèce.

La Bulgarie, qui ne participait pas encore au conflit, devant ces désastres franco britanniques, va finalement se ranger aux côtés des allemands et envahir la Serbie.

Là encore, il est trop tard pour venir en aide aux troupes serbes écrasées par les armées bulgares à l’est et austro allemandes au nord. Le corps expéditionnaire français du Général Sarrail ne pourra prêter main forte aux troupes serbes.

L’Italie, après de longs marchandages, finalement entrera en guerre aux côtés des alliés en 1915 moyennant la promesse de ceux-ci de lui octroyer, après-guerre, de larges territoires ( Trieste, Trentin, possession dans les Balkans)
Les troupes italiennes ouvriront un front dans les Alpes mais le relief accidenté ne permettra jamais, malgré de nombreuses offensives dans la région de l’Isonzo, de porter un coup décisif aux troupes allemandes et autrichiennes.

La guerre s’étend désormais à de nombreuses régions, le Moyen Orient est convoité par les Turcs, en Afrique, le Cameroun allemand est repris par les troupes françaises. Le Japon entre en guerre aux côtés des alliés.
Les Turcs vont durant l’année 1915 commettre le premier génocide de ce siècle en toute impunité en déportant et assassinant environ 1.2 millions d’Arméniens sur un total de 2 millions.

La guerre est mondiale, seuls, les Etats Unis gardent leur doctrine de non interventionnisme.

La guerre en 1915 devient également totale, toute l’industrie est réorientée vers une industrie de guerre.
En effet, toujours selon la doctrine de Foch avant-guerre, il n’y avait pas besoin d’une artillerie conséquente, les charges de l’infanterie et le mouvement vers l’avant, sabre au clair, allait tout emporter et la guerre allait être courte et victorieuse.

Or, c’est à une guerre de position que l’on a affaire désormais et le matériel doit s’adapter.
L’artillerie lourde et l’artillerie de tranchée vont devenir prépondérantes.
Les uniformes garance et bleu et les casquettes vont céder la place aux capotes et au casque Adrian.

L’aviation de reconnaissance va devenir indispensable ainsi que les mitrailleuses, les mortiers de tranchées (les crapouillots) et les lance-grenades, en attendant les engins blindés.

Malheureusement, des deux côtés, l’utilisation des gaz de combats, d’abords irritants puis mortels et l’usage des mines souterraines dévastatrices vont faire leur apparition en 1915 sur le front ouest
(Ypres et la butte de Vauquois en seront les symboles).

La guerre navale et sous-marine est totale, les allemands soumis au blocus par la marine anglaise et française répondent par de nombreux torpillages grâce à ses U-boat.
Le torpillage des navires civils dont le fameux LUSITANIA avec à bord des citoyens américains provoquera une protestation diplomatique importante des Etats Unis, ce qui fera baisser le nombre de ces actes meurtriers aveugles. Cette catastrophe accélérera leur future entrée en guerre.

Les armées françaises manqueront longtemps d’obus et les quelques percées réussies, notamment par Pétain sur les collines de Vimy et Notre Dame de Lorette n’auront pas de suite, les français devant reculer par manque de munition d’artillerie.

Le temps que l’industrie, privée des mines de charbon envahies du Nord Pas de Calais, arrive à produire suffisamment de fusils, d’obus, de munitions diverses, de véhicules à moteur, l’année se sera écoulée en offensives aussi meurtrières qu’inutiles.
A la fin de 1915, seuls 4 à 5 kms seront regagnés çà et là en Champagne et en Artois.

A quel prix ???

A l’arrière, c’est aussi la mobilisation totale, les femmes font leur entrée en masse dans les usines d’armement pour remplacer les hommes partis au front.

Le service de santé des armées, quasi inexistant en août 1914 (toujours à cause de la même croyance en une guerre courte et victorieuse) doit se structurer et surtout faire face à de nouvelles données.

Les mutilés, les polytraumatisés, les brulés, les gazés, les amputés, les « gueules cassées » sont légion et il faut faire face.
Ce sera les grands débuts de la radiologie médicale, de la chirurgie réparatrice, des prothèses, de la prise en charge du choc psychologique, des transfusions, des antennes avancées médicalisées…etc.

Le SAMU actuel et les greffes de visages ne sont aujourd’hui qu’une des résultantes de cette époque.

Texte et recherches : Marc BULCOURT